13 mars 2006

La java des chaussettes à clous

Alors comme ça, Villepin, le premier ministre français, est persuadé que "bien des jeunes en Europe voudraient pouvoir bénéficier de ce contrat."

Ah bon. J'imagine qu'il parle des membres des jeunes patrons européens. Je ne vois pas très bien quel autre jeune pourrait rêver de décrocher un "contrat première embauche" qui ne lui offre aucune sorte de stabilité pendant deux ans de durée d'essai. Un truc tellementefficace en matière d'insertion socio-professionnelle que les banquiers annoncent tout de go qu'ils hésiteront à ouvrir des lignes de crédits pour les salariés engagés sous ce régime et que les propriétaires font savoir que, pour obtenir un de leurs logements, ce sera pas gagné d'avance.

En tout cas, j'imagine que, pour Villepin, la France compte 1 million d'enfants gâtés qu'il convient de mettre au pas à grand coup de matraques. Comme le chantait Boris Vian:

Ustensiles fort sociables
Elles prennent un contact aimable
Avec l'œil ou avec le râble
Du badaud qui ne sert à rien
Réformant la jeunesse oisive
Elles font propagande active
Dans le ventre ou dans les gencives
Des crétins du Quartier latin.
Ce sont les chaussettes à clous
Compagnes chéries des humbles gendarmes
Parure en même temps qu'arme
C'est là tout le charme
Des chaussettes à clous.
Je serais assez étonné de trouver dix jeunes qui rêvent effectivement d'un job au régime CPE. Par contre, je ne m'étonne pas du tout que, pour ne pas changer, on teste les joyeusetés néo-libérales prévues pour l'ensemble du marché de l'emploi sur la jeunesse.
Il y a un an et demi de ça, Frank Vandenbroucke, alors ministre SP.A de l'emploi, mettait en place un plan "d'activation" des chômeurs. Dans une première phase, c'étaient les chômeurs complets indemnisés (CCI) de moins de 30 ans qui devaient faire la preuve de leur recherche active d'emploi. Faute de recherche satisfaisante, boum, plus d'allocs. C'est pratique, ça fait autant de chômeurs en moins. Et après ça, vous pouvez vous la pèter grave dans les cocktails du Bureau International du Travail. "Comment, Tony, vous avez encore des jeunes chômeurs chez vous? mais mon vieux, c'est completement has been!".
Dans la mesure où personne ne risque de vous demander combien coutent ces plaisanteries aux CPAS, c'est ce qui s'appelle frimer à peu de frais.
Et où en est-on, d'ailleurs, dans cette chasse aux chômeurs, maintenant que 18 mois et 2 ministres sont passés?
D'après l'analyse fournie par la plateforme stopchasseauxchomeurs, une brillante réussite (hum, hum). L'ONEm nous annonçait 407.011 CCI en juin 2003. Décembre 2005: on en est déjà à 451.782. Bilan: + 44.771
Pour prendre une définition plus large, celle de demandeur d'emploi inoccupé, utilisée par le B.I.T., aux même dates on passe de 538.141 à 597.141. +59.000 DEI en un an et demi. Je propose un ban pour la création d'emplois.
Quelqu'un se souvient encore que Verhofstadt promettait 200.000 emplois nouveaux avant la fin de la législature? Dans la mesure où il nous a demandé de juger l'action de son gouvernement sur le recul du chômage et de l'extrême-droite, je commence à envisager de demander l'asile politique au Vénézuela ou au Costa-Rica...
Mais soit. "Et le processus d'exclusion des chômeurs? On a laissé tomber?" me demanderont alors quelques droitiers, frustrés de voir le nombre de chômeurs augmenter... Nenni, m'cadèï! Non content d'être incapable de créer de l'emploi, même précaire, on s'assure que la machine continue de fonctionner.
Depuis le lancement du plan, 46.592 jeunes chômeurs de moins de 30 ans ont passé un premier "entretien de contrôle". A votre avis combien ont fournis des efforts de recherche "satisfaisants" vers un emploi dont on vient de voir qu'il n'existe pas? 33% soit 15.499 personnes. Vu les réalités du marché de l'emploi, heureusement pour la crédibilité de la démarche que les critères de "recherche satisfaisante" sont laissé à l'arbitraire de l'agent de contrôle. De quoi le secrétaire d'Etat aurait-il l'air si on arrivait à 100% d'insatisfaisants??
Bon, à l'issue de ce premier entretien, le chômeur pris en flagrant délit de fainéantise est convié à signer un contrat avec l'ONEm. Au bout de quatre mois, ré-évaluation. A ce stade, 2815 personnes ont déjà subi ce second entretien. Et vous pensez que ces types auraient fait des efforts en quatre mois? Rien du tout! Les contrôleurs ont encore estimé que 1005 chercheurs d'emploi ne cherchent rien du tout, ou pas comme il faut (35,7% des ré-évalués).
L'administration ne se démonte pas: elle fait signer un nouveau contrat aux supposés tire-au-flanc. Mais comme il ne faut pas jouer avec ses pieds, elle suspend le versement des allocations pour 4 mois aux 980 nouveaux contractualisés.
Attention! la Belgique est un pays où on ne rigole pas avec la liberté des parties contractantes. 25 personnes ont donc été jugées tout à fait libre de ne pas signer ce nouveau contrat. Elles ont également pris librement leurs cliques et leurs claques sans un rond et exclues définitivement des listes.
On ne sait pas si les autres ont reçu un stock de timbres-poste pour l'envoi de leurs CV et de leurs lettres de candidature.
Quant au troisième et ultime entretien, il n'y en a encore eu qu'un nombre infime. Statistiquement, les 46,28% de chômeurs exclus après ce dernier ne représentent pas grand chose. Je n'ai pas l'impression que le Secrétaire d'Etat Vanvelthoven les considèrera un jour comme autre chose que 4 chiffres et une virgule...
Pour compléter le tableau, 1300 jeunes gens qui se sont essayés à la résistance passive (ils ne se sont pas présentés aux entretiens) ont été sanctionnés.
Bien. Et quel est le rapport avec le CPE? Et bien, il s'agit ici aussi, d'un mécanisme de précarisation du travail. En jouant sur la menace d'exclusion des allocations de chômage, le capitalisme fait donner son armée de réserve sur le marché du travail. Pour éviter les sanctions, les chômeurs sont contraints d'accepter n'importe quel job, quelles qu'en soient les conditions. Inutile de dire que ce n'est pas précisément de nature à pousser les patrons à offrir des jobs de qualité. Bien au contraire, c'est un salaire minimum et une flexibilité maximale pour une formation en adéquation optimale avec l'emploi proposé qui sera désormais la règle. Le tout dans des petits jobs sans avenir et instables...
Le jour où le travail cessera d'être une aliénation n'est pas prêt de se lever, hélas.
Je crois que je vais aller relire "le droit à la paresse" de Lafargue.

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