04 mars 2006

Entrée en matière: Hemingway, le logement et les successions.

Ca faisait déjà quelques jours que je me demandais comment ouvrir ce blog sans tomber dans les sempiternelles considérations sur « ma vie, mon univers et tout le reste » ou les banalités d’usage et voilà que les libéraux ixellois me donnent une excellente occasion de plonger directement dans le vif du sujet.

Donc, hier, j’entame ma lecture du Soir dans le tram 94 et, dans les pages bruxelloises, je tombe sur l’inénarrable Olivier de Clippele, un des – nombreux – chefs de file de la droite de ma commune. Il m’y explique calmement que les droits de succession sur les biens immobiliers sont beaucoup trop élevés et doivent être réduits à un taux plancher…
Ce que j’aime bien avec ces représentants de la droite la plus dure (genre Didier Reynders), c’est qu’avec eux, c’est beaucoup plus facile d’expliquer que le clivage gauche/droite est tout ce qu’on veut sauf dépassé.

Quand on me parle des droits de succession, la première chose à laquelle je pense, c’est « Pour qui sonne le glas », le roman d’Hemingway. Dans cet excellent bouquin, qui se déroule pendant la Guerre Civile espagnole, le héros, un prof américain engagé aux côtés des Républicains, explique à un de ses camarades espagnols que le système de droit de succession est supposé permettre le morcellement des grandes propriétés terriennes, éviter que les richesses s’accumulent entre les mains de quelques-uns. « Mais, sûrement, les gros propriétaires et les gens riches vont faire une révolution contre ces impôts-là ? Ces impôts-là, moi, je trouve ça révolutionnaire. Ils vont se révolter contre le gouvernement, quand ils s’apercevront qu’ils sont menacés, exactement comme les fascistes ont fait ici », lui répond l’Espagnol.

Vous, je ne sais pas, mais pour ma part, je trouve que c’est un passage qui résume parfaitement la situation : les droits de succession sont un mécanisme de redistribution des richesses, qui permettent de financer l’action des pouvoirs publics et de limiter l’existence de barrières sociales fixées suivant la naissance. Et la droite, ça l’énerve. Donc, elle veut régler son compte à cet « impôt révolutionnaire ».

Bon, maintenant, attention : je ne suis pas un fan de la propriété privée, c’est vrai, mais faut pas pousser. Je ne serais pas particulièrement choqué que chacun soit propriétaire de son logement, dans la mesure ou une société dans laquelle tout le monde est propriétaire ne diffère pas beaucoup d’une société dans laquelle personne ne l’est. Je ne tiens pas non plus particulièrement à ce que, lorsqu’un membre d’un couple décède, l’autre se retrouve à la rue parce qu’il n’est pas en mesure de régler les impôts. Il est important d'aménager des réponses spécifiques à des cas spécifiques. Mais il ne faut pas laisser l’arbre cacher la forêt.

Dans la Région de Bruxelles-Capitale, on arrive péniblement à 40% de propriétaires-occupants contre un très large 60% de locataires. Lisez : la proposition des libéraux préfère aider les minorités possédantes, relativement (appréciez l’effort de nuance) plus à l’aise que la majorité de la population qui doit tirer son plan pour payer un loyer tous les mois.
Pour information, bien que la Constitution belge garantisse à tous les citoyens le droit à un logement adapté et accessible financièrement, à Bruxelles, il faut faire partie des 30% de la population qui gagne le plus pour avoir accès à au moins la moitié du parc de logement, tout en consacrant moins d’un tiers de ses revenus à son loyer.
Le manque à gagner que représente une diminution des taux d'imposition, c'est autant d'argent en moins pour mener des politiques publiques en faveur du logement.

Enfin, là où la proposition de Clippele devient complètement délirante, c’est quand on se demande pourquoi les droits de succession deviennent impayables.
Les droits de succession, c’est le prélèvement d’un pourcentage de la valeur des biens transmis. Le fait que les héritiers ne parviennent plus à suivre, on peut choisir de le voir comme le symptôme que l’impôt est trop élevé. C’est le choix de la droite.
Mais on peut aussi réfléchir d’une façon plus globale. Et on se rend alors compte que c’est tout l’immobilier dans la Région qui est hors de prix !

Ce n’est pas diminuer le montant des droits de succession qu’il convient de faire, M. de Clippele : c’est enfin se décider à réguler efficacement le marché immobilier bruxellois qui permettra à tous de se loger et de vivre dignement dans notre Région. Mais pour s’attaquer à ce dossier, pour défendre les intérêts du plus grand nombre des Bruxellois, il faut un projet de société et un courage politique que votre parti n’est pas prêt de trouver !

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