03 avril 2006

Ich bin ein Brontosaure


La semaine passée, le Soir consacrait pas moins de 4 pages à enfoncer le clou de la pensée unique. 4 pages pour nous expliquer que si l'économie belge va mal c'est parce qu'elle n'est pas assez moderne, que nous devons accepter plus de flexibilité, que c'est bien normal qu'un patron rechigne à engager, puisqu'il lui sera difficile de débarquer ses employés au premier ralentissement de ses bénéfices. Et ceux qui disent le contraire sont des brontosaures doublés de menteurs, dont les grilles d'analyse sont bien évidemment dépassées puisqu'inspirées d'économistes du XIX siècle.
Pour vous dire jusqu'où le discours porte, c'est avec quelques nuances celui que tient Poul Nyrup Rasmussen, le président du Parti des Socialistes Européens.
Première observation - c'est l'historien qui parle: ce n'est pas parce qu'un texte, une personne ou une idée est vieille qu'elle est dépassée. Contrairement à ce qu'on essaye de nous faire croire, ce n'est pas parce que le Mur de Berlin est tombé que les penseurs socialistes, Marx en tête, ne valent plus tripette. Bien au contraire, ça permet de revenir aux sources sans complexe. Et pourquoi sont-ils toujours d'actualité? Parce que ce qu'ils observent n'a pas beaucoup changé en un siècle et demi. En dépit des apparences, le capitalisme n'a pas changé de nature. Ce qui pourrait donner l'impression du contraire n'est que le résultat des avancées sociales obtenues à la sortie de la deuxième guerre mondiale. Ces avancées que l'on détricote aujourd'hui au nom de la modernité.
Ce qui m'amène à ma deuxième observation: est-ce que les mots veulent encore dire quelque chose?
Je m'explique. La modernité, c'est quoi? c'est un concept sociologique et philosophique qui, en gros, met la Raison (avec un grand R) au centre de l'univers, et affirme qu'en s'appuyant sur la Raison, l'Homme peut changer le monde dans lequel il vit. Ca installe aussi la notion d'un possible progrès. Pour une introduction rapide à la question, allez voir ici.
Dans le cas qui nous concerne, il y manifestement une confusion. Ce qui est reproché à l'économie belge, ce n'est pas de ne pas être assez moderne. C'est de ne pas être assez contemporaine ou, à la limite, de ne pas être assez à la mode. Ca n'a rien à voir.
Mais ce qui est assez extraordinaire, c'est la façon dont ce mot est utilisé pour laisser entendre que les défenseurs des droits sociaux, en particulier sur les lieux de travail, sont une bande de conservateurs complètement à la masse.
Quand Victor Hugo a fait jouer pour la première fois "Hernani", le feu a été mis à la querelle entre les Anciens et les Modernes, entre les "genous" et les "chevelus". La jeunesse romantique voulait faire éclater ce qui restait de l'ordre social de la Restauration, s'attaquait violemment aux tenants du retour aux valeurs de l'Ancien Régime, à ceux qui pensaient que la révolution de 1789 n'était finalement qu'une parenthèse qui n'avait rien changé. Par un renversement de sens délirant, aujourd'hui, ce sont les progressistes passent pour les conservateurs, et réciproquement.
Le plus beau symbole de cet état de fait? Mouvement Réformateur, c'est jeune, c'est dynamique, non? c'est un beau nom qui dit bien que ça veut faire changer les choses, bref que c'est un parti pour le progrès? Perdu, c'est bien le parti de la droite, des réactionnaires, de ceux pour qui une bonne réforme est une réforme qui ramène à la situation sociale d'avant-guerre.
Et qu'est-ce que répond la gauche à ça? Rien.
A mon avis, deux raisons principale pour expliquer ce silence:
1. Une raison historique. En 1945, les mouvements de gauche majoritaires ont obtenu, je l'ai déjà dit, une série d'avancées sociales qui paraissaient parfaitement inaccessibles 10 ans plus tôt. Ce n'est pas l'ensemble du cahier de revendications, mais ça y ressemble beaucoup. Et le rapport de forces ne permet pas d'obtenir plus immédiatement . On s'enthousiasme donc pour ce qu'on a obtenu (et on a bien raison) et on range le reste (on a bien tort). Toute soucieuse de conserver les acquis et éventuellement de les améliorer à la marge, la gauche traditionnelle ne portera plus de ligne de rupture. Et dans le combat social, quand on n'avance plus, on recule. Rigolez si vous voulez: c'est de Philippe Moureaux. Enfin, peut être pas de lui, mais en tout cas endossé par lui.
2. Une raison sociologique et philosophique. La modernité, ça ne fait plus recette. En particulier, ce qu'on appelle les grands récits, porteur d'une espérance eschatologique. En d'autres mots, les visions du monde et de l'histoire qui vous promettent une vie meilleure dans le futur: le paradis chez les chrétiens, le grand soir et les lendemains qui chantent pour le socialisme. Essayez un peu de parler des lendemains qui chantent dans la rue... C'est fait? bon, allez mettre une escalope sur ce vilain oeil au beurre noir. Voila, on peut continuer maintenant.
Evidemment, se dire que ce qui vide les églises est aussi ce qui fait baisser le niveau de syndicalisation n'a rien de réjouissant. Mais c'est un fait: nous, socialistes, n'arrivons plus à faire passer notre projet, éminemment moderne, dans une société devenue post-moderne. Pire: au sein même de nos partis, de moins en moins de monde parait croire en ce projet. Et de moins en moins de monde se donne la peine de le comprendre et de l'étudier.
Et personne ne propose de réelle alternative: pas même de tentative de transposition du projet socialiste dans le nouveau cadre de pensée post-moderne. Ce qui en tient lieu, ce n'est rien d'autre qu'un détournement droitier à la limite de la caricature.
Je n'ai pas de sympathie particulière pour Habermas: un philosophe qui écrit des bouquins de dialogues avec un pape (Ratzinger), c'est louche - souvenez-vous du dialogue Haarscher/Ringlet. Mais je suis en tout cas d'accord avec lui quand il dit que la modernité est un projet inachevé et qu'il faut le reprendre, sous peine de perdre notre humanité.
Si c'est ça être un brontosaure, je suis fier d'en être un.

1 commentaire:

Raphaël Zacharie de Izarra a dit…

Un texte peu connu de Victor Hugo

L'HALEINE SOLAIRE

Je déteste le soleil épais, pesant, éblouissant des beaux jours.

Les pluies en mai m'enchantent, étrangement. Un ciel couvert de nuages peut réveiller en moi les ardeurs les plus molles mais les plus authentiques. La vie, la vie poétique, cotonneuse, indolente, je la sens sous l'onde de mai, qu'elle prenne la forme de crachin tiède ou de grand voile humide. Mes humeurs s'affolent avec une exquise lenteur lorsque entrent en scène les particules d'eau qui virevoltent dans les airs, s'immiscent sur les toits, humectent les feuilles. Sur la ville la pluie vernale apporte une fraîcheur aqueuse pleine de l'odeur des champs. L'atmosphère est ralentie, trouble, chargée de réminiscences.

J'aime ne voir au-dessus de ma tête qu'un immense manteau d'une blancheur uniforme.

En juin le ciel entièrement couvert me donne une sensation d'éternité, de profondeur, mais aussi d'infinie légèreté. Les aubes de juin sans soleil me ravissent. A la lumière crue et directe de l'été je préfère la clarté douce et diffuse que filtre une barrière de brumes blanches.

En juillet je n'espère que l'éclat nivéen d'une lumière d'avril. Certains jours du mois estival la nue ne laisse passer aucun rayon, alors les champs de blé deviennent pâles comme si la Terre était devenue la Lune.

Août, je le préfère sous un vent doux et serein plutôt qu'embrasé par des tempêtes de lumière. Là, le monde m'apparaît sous son vrai jour : sans les artifices et superficialités communément inspirés par l'astre.

L'alchimie nuageuse provoque en moi un mystère de bien-être qui m'emporte loin en direction des espaces nébuleux, haut vers l'écume céleste.

Entre genèse des étoiles et éveil du bourgeon.

VICTOR HUGO